Steve McQueen filme en moraliste l’univers d’un être solitaire perverti par le sexe.
Sonné. C’est l’état dans lequel on sort de "Shame", second choc de l’artiste britannique Steve McQueen après "Hunger", en 2008, qui retraçait la grève de la faim du militant irlandais Bobby Sands. A l’occasion, il révélait un acteur, Michael Fassbender. Déjà aperçu dans la série de Spielberg "Band of Brothers", chez Zack Snyder ("Les 300") ou François Ozon ("Angel"), ce dernier aura, en effet, dû attendre ce rôle pour voir sa carrière exploser.
A nouveau, McQueen filme dans "Shame" le long corps du comédien irlandais, non plus ici décharné, mais musclé, travaillé, sculpté... Cette fois, Fassbender incarne Brandon Sullivan. La trentaine exubérante, habitant un petit appartement chic, ce parfait yuppie new-yorkais bossant à Wall Street pourrait faire tomber toutes les filles. Pourtant, sa vie privée est organisée autour de prostituées à domicile, de séances de masturbation sur Internet, de coups d’un soir avec des inconnues draguées dans des bars ou le métro Rongé maladivement par des pulsions sexuelles insatiables, c’est plus encore quelqu’un incapable de s’engager émotionnellement avec quiconque. Même avec sa sœur Sissy qui s’invite un jour sur le canapé de son salon. L’arrivée de la jeune femme, chanteuse aux tendances suicidaires, fait ressurgir un passé douloureux et fait voler en éclats l’équilibre précaire de l’existence bien réglée de Brandon.
De ce passé, on ne saura rien. La force du cinéma de McQueen réside, en effet, dans son observation physique, froide et sans pudeur. Refusant la psychologie, il se concentre sur l’image, filmant un corps et ses pulsions, accumulant les scènes dures, crues, pour montrer la descente aux enfers et la faillite émotionnelle d’un être perverti. Abordant un sujet contemporain très osé, McQueen le fait en moraliste, conduisant son héros vers une forme de rédemption. Il ne s’agit, ceci dit, pas pour le réalisateur de le juger lui, mais bien de condamner le monde dans lequel il évolue, qui l’a forgé. Celui de la communication exacerbée, mais de l’incommunicabilité des êtres, de la pornographie à portée de tous, du tout, tout de suite, etc.
Ce n’est pas pour rien que "Shame" se déroule à New York, symbole de la mégapole occidentale contemporaine. Une ville de cinéma que le Britannique filme avec passion, captant l’énergie de ses rues pour la transmettre à son personnage. Incapable de se poser pour profiter de ce que la vie peut lui offrir, trop occupé à courir après des désirs formatés et imposés. La critique de "Shame" s’étend, en effet, à l’ensemble de la société, le sexe n’étant ici qu’un bien de consommation parmi d’autres.
Magnifique directeur d’acteurs, McQueen offre un nouveau rôle fort à Fassebender. Mais il confirme aussi le talent de la jeune Anglaise Carey Mulligan, déjà vue dans "Public Ennemies" ou récemment dans "Drive". Fragile, déchirante, elle crève l’écran dans "Shame". Notamment dans cette scène pivot où Sissy offre à son frère une version ralentie à l’extrême de "New York. New York", cri de douleur d’une profonde mélancolie. Où McQueen confronte deux êtres solitaires, détruits par la vie, mais qui y répondent de façon opposée : submergée par l’émotion pour l’une, la refusant pour l’autre. Malgré quelques excès de style dans sa mise en scène ultraléchée et l’une ou l’autre facilités scénaristiques dans son final, "Shame" reste un film brillant. Le premier grand choc de 2012.
http://www.lalibre.be/culture/cinema/article/712244/shame-une-vie-sans-emotion.html