L'art de vivre sa vie, sa parentalité, ses relations : un magnifique article de Rachel Macy Stafford, Professeur d'éducation spécialisée...
"Le jour où j'ai cessé de dire "Dépêche-toi"
Publication: 09/08/2013 06h36
Chaque minute compte dans nos vies modernes et effrénées. On a
constamment l'impression qu'on doit cocher quelque chose de notre
to do list
(choses à faire), qu'on doit vérifier un écran ou un autre ou se
presser pour se rendre à notre prochaine destination. Et peu importe
comment on divise notre temps et notre attention, peu importe combien de
tâches on tente d'accomplir simultanément, on finit toujours par avoir
l'impression qu'il n'y a pas assez d'heures dans une journée pour
arriver à tout faire.
Ainsi allait ma vie pendant deux années totalement frénétiques. Mes
pensées et mes actions étaient régies par des notifications
électroniques, des sonneries et des agendas surchargés. Même si mon
sergent intérieur s'était donné comme objectif de toujours être à
l'heure, je n'y arrivais simplement pas.
C'est que, voyez-vous, la vie m'a fait cadeau, il y a déjà
six ans, d'une adorable enfant du type
je-prends-mon-temps-rien-ne-presse-regarde-maman-les-jolies-fleurs-tu-veux-les-sentir?
Lorsque nous devions quitter la maison en cata, elle prenait tout son temps pour se choisir un sac à main et une tiare.
Lorsque nous devions aller quelque part à cinq minutes, elle
insistait pour prendre le temps de bien boucler la ceinture de sécurité
de sa peluche.
Lorsque nous devions prendre le déjeuner sur le pouce, elle prenait
tout son temps pour faire la conversation à la dame à côté de nous qui
lui rappelait sa mère-grand.
Lorsque, par chance, j'avais le loisir de trouver 30 minutes pour un
petit jogging, elle insistait pour que nous nous arrêtions à chaque
chien que nous croisions afin de lui faire un câlin.
Lorsque le premier rendez-vous à mon agenda était à 6 heures du
matin, elle prenait tout son temps pour battre les oeufs aussi doucement
que possible.
Mon enfant était, pour ma personnalité de Type A, une bénédiction,
mais je ne m'en rendais pas compte. Bien sûr que je ne m'en rendais pas
compte: quand on mène ce genre de vie effrénée, on a une vision très
limitée uniquement tournée vers l'avenir, et tout ce qui ne fait pas
partie d'une
to do list nous semble superflu et inutile.
Quand ma fille m'obligeait à dévier de mon agenda, je me disais
intérieurement "On n'a pas le temps pour ces peccadilles".
Conséquemment, les deux mots que je disais le plus à mon petit ange dans
une journée type étaient "dépêche-toi".
Mes phrases commençaient par ces deux mots:
Dépêche-toi, on va être en retard.
Mes phrases se terminaient par ces deux mots:
On va tout rater si tu ne te dépêches pas
Je commençais mes journées avec ces deux mots:
Dépêche-toi à manger ton petit déjeuner.
Dépêche-toi de t'habiller.
Je terminais mes journées avec ces deux mots:
Dépêche-toi à te brosser les dents.
Dépêche-toi à te mettre au lit.
Même si, de toute évidence, ces mots ne rendaient aucunement
l'exécution des tâches à accomplir plus rapide, je persistais à les
prononcer. Le plus effrayant, c'est que je les prononçais plus souvent
que les mots "je t'aime"... La vérité fait mal, mais la vérité guérit, aussi... et elle me rapproche de la maman que je veux être.
Puis, un jour, tout a changé. Nous venions tout juste d'aller
chercher notre aînée à la garderie et nous sortions de notre voiture.
Trouvant que sa petite soeur n'allait pas assez vite, elle lui a lancé:
"tu es tellement lente". Puis, elle a croisé les bras et soupiré avec
une exaspération qui m'a fendu le coeur.
J'ai pris conscience de mon propre comportement: j'étais un tyran qui
bousculait constamment une enfant, dont le seul désir était de prendre
le temps d'aimer la vie.
Et à cet instant, j'ai réalisé à quel point ma propre vie effrénée
était néfaste non seulement pour moi, mais pour mes deux filles
également.
La voix tremblotante, j'ai rivé mes yeux à ceux de ma cadette, et je
lui ai dit: "Je te demande pardon de t'avoir constamment bousculé
jusqu'à aujourd'hui. J'aime que tu prennes ton temps et je veux
apprendre à être comme toi le plus souvent possible."
Mes deux filles furent tout aussi surprises l'une que l'autre de cet
aveu inattendu, mais celui de la plus jeune avait, en plus de la
surprise, l'air de quelqu'un à qui on vient de donner raison et qui en
jouit intérieurement.
"Je te promets d'être plus patiente à partir d'aujourd'hui", lui
dis-je en la serrant dans mes bras tandis qu'elle rayonnait
littéralement à la simple idée de cette promesse que je venais de lui
faire.
Rayer les mots "dépêche-toi" de mon vocabulaire fut simplissime, mais
ce qui fut considérablement plus difficile, ç'a été d'acquérir la
patience que j'avais promise à cette enfant. Afin de nous venir en aide à
toutes les deux, j'ai commencé à lui accorder plus de temps pour se
préparer si nous devions nous rendre quelque part. Malgré cela, nous
étions encore souvent en retard. Dans ces moments, je me rassurais en me
disant que ça ne durerait que quelques années encore, le temps qu'elle
vieillisse.
Lorsque ma fille et moi marchions ou allions au magasin, je la
laissais dicter le pas, et lorsqu'elle s'arrêtait pour admirer quelques
choses, je taisais toutes les pensées reliées à mon sacro-saint agenda
afin de simplement l'observer et profiter du moment. Je voyais sur son
visage des expressions que je n'avais jamais même aperçues auparavant.
J'admirais les fossettes sur ses petites mains potelées et la façon dont
ses yeux avaient de se plisser lorsqu'elle souriait. J'ai pris
conscience de la façon dont les gens prenaient leur temps pour lui
répondre lorsqu'elle s'adressait à eux. J'ai découvert son talent pour
voir de jolis insectes et de mignonnes fleurs. C'était une observatrice
et j'ai rapidement découvert que les observateurs sont des gens rares et
précieux. C'est ainsi que j'ai compris que ma fille était une
bénédiction pour mon âme frénétique.
Ma promesse de ralentir la cadence a été faite il y a bientôt trois
ans, en même temps que j'ai entrepris mon périple vers l'abandon des
distractions quotidiennes et la concentration sur ce qui compte
vraiment. Aucun doute, cependant: vivre à une vitesse "petit v" me
demande encore un effort de tous les instants. Ma cadette est le mémento
quotidien qui me sert à ne pas perdre mon objectif de vue. En fait,
voici un bel exemple des petites choses qu'elle fait ou dit qui me le
rappellent quotidiennement.
Pendant nos vacances, nous étions allées nous régaler d'une granita
après une petite balade en vélo. Après avoir payé pour notre friandise
glacée, elle s'est installée à une table de pique-nique et regardait
avec admiration la montagne de glace et de sirop devant elle, puis elle
m'a regardé avec un peu d'angoisse et m'a demandé: "Maman, est-ce que je dois me dépêcher?"
J'ai failli fondre en larme. Apparemment, les cicatrices d'une vie effrénée s'estompent, mais ne disparaissent pas complètement. Tandis qu'elle attendait que je lui réponde, je savais que j'avais un
choix à faire: je pouvais me morfondre en pensant au nombre de fois que
je l'avais bousculée dans sa courte vie... ou je pouvais profiter
pleinement du fait que, désormais, je fais les choses différemment.
Et j'ai choisi de vivre l'instant présent.
"Tu n'as pas à te presser, ma chérie. Prends tout ton temps", lui ai-je
doucement répondu. Son visage s'est illuminé et ses épaules sont tombées
de soulagement.
Puis, nous nous sommes assises côte à côte et avons discuté des
choses dont discutent les petites joueuses de ukulélé âgées de 6 ans.
Nous avons même profité de longs moments de silence pendant lesquels
nous nous contentions de nous sourire et d'admirer le paysage.
J'avais l'impression que ma fille allait dévorer tout son immense
granita, mais lorsqu'elle est arrivée à la dernière bouchée, elle me l'a
tendue et a dit avec fierté: "je t'ai gardé la dernière bouchée juste
pour toi, maman". Jamais de la glace pilée n'aura été aussi bonne, et je me suis rendue compte que je venais de conclure le marché du siècle. J'ai accordé un peu de temps à ma fille, et en retour, elle m'a donné
la dernière bouchée de sa friandise et m'a rappelé que les choses ont
meilleur goût et que l'amour s'épanouit bien mieux lorsqu'on prend le
temps de prendre le temps.
Que ce soit pour...
Manger une granita
Cueillir une fleur
Boucler une ceinture de sécurité
Casser un oeuf
Chasser les coquillages
Observer les coccinelles
Déambuler sur le trottoir
Je ne dirai plus jamais "nous n'avons pas le temps", parce qu'en fin
de compte, c'est comme si on disait "nous n'avons pas le temps de
vivre".
Prendre le temps de savourer les petites joies du quotidien est la seule façon de pleinement profiter de la vie. Et croyez-moi, j'ai appris cette leçon de l'experte mondiale dans le domaine de profiter-pleinement-de-la-vie!"
> http://www.huffingtonpost.fr/rachel-macy-stafford/jour-cesse-dire-depeche-toi_b_3730089.html?ncid=edlinkusaolp00000009&ir=France